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CAIRN -Expérience sur le travail du regard

Ré-activer le déconstruit,
projet collectif, Le Frasnois (Jura), du 14 au 20 mars 2021.
 

Réactiver : Selon la définition du CNRTL « action de redonner vie à quelque chose » ou ranimer, raviver, réveiller. Ce sont autour de ces termes que s’est développé mon intérêt pour les ruines dissimulées dans les forêts du Frasnois et ses alentours. Le pèlerinage est souvent associé au sacré, il signifie également le recueil affectif et mémoriel porté sur un lieu qui nous touche car les ruines sont aussi la trace formelle d’une histoire sensible. Le terme de pèlerinage engage à une traversée au cœur du territoire conférant aux pierres des propriétés et des usages propre à cette terre. L’expression d’exploration nous paraît plus apte à décrire ce processus d’investigation. Plus généralement, l’étude des pierres sera le point central de cette exploration. 

Ce projet est né d’expérimentations sur les minéraux et d’une observation constante des pierres présentes sur le relief jurassien. En ce sens, plusieurs sites ont été choisis sur lesquels les pierres vivent de différentes manières, mouvantes et vivantes de par leur position ou leur usage par l’homme. L’étude porte autour de quatre sites : l’éboulement de rochers au bord du lac de Maclu, la grotte de la Cave à la Vieille, les ruines du prieuré sur l’île du lac d’Ilay et enfin les ruines du château médiéval de la Chaux-des-Crotenay, site soumis à des fouilles archéologiques en 2016. La question est d’observer la manière dont les ruines façonnent le territoire, l’usage que l’homme en fait, s’ il en fait usage, et comment ré-activer momentanément ces sites riches ? C’est finalement un protocole d’usure qui se crée naturellement en travaillant autour du territoire du Frasnois, mais pas une usure néfaste laissant des traces, dans la mesure où nous avons collectivement choisi d’arpenter le territoire en laissant une trace de notre passage la plus réduite qui soit.

Cette exploration a mené à un montage vidéo en plan fixe ayant pour but une immersion et une contemplation au cœur de cet écosystème minéral. En parallèle, le glanage de pierres trouvées sur ces différents lieux complète ce montage en plan fixe, comme des reliques soigneusement prélevées. L’expérience conforte le fait que « prendre une pierre est toujours une aventure1», puisque parlant en connaissance de cause, la recherche de la Cave à la Vielle à été vaine, la Dame Blanche nous ayant refusé l’entrée de sa grotte, mais la conscience de la présence de cette grotte (sûrement sous nos pieds et ensevelie dans la neige) à créer de nouveaux modes de cheminement puisque « voir » ne se limite pas seulement à percevoir. 

1 BAUMANN Pierre, in BAUMANN Pierre, ESCORNE Marie et PEYLET Gérard (dir.), Hélène Saule-Sorbé. L’art à chaque pas, Pierre Vivante », Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2020, p. 315.

"Nous sommes une équipe (onze personnes) d’étudiantes, doctorante et enseignant chercheur en arts de l’Université Bordeaux Montaigne et sommes venus travailler pendant une semaine de résidence au Frasnois du 14 au 20 mars 2021 sur la relation entre expérience artistique et économie du regard : comment voir et parcourir un territoire pour saisir brièvement ce qui fait sa particularité, ce qui caractérise ses usages et détermine ses modes de travail. Comment faire travailler notre propre regard ? Dans le contexte pandémique, cette mise à l’épreuve se trouve chargée d’une valeur supplémentaire, le souffle physique des choses matérielles, des douleurs du corps qui a trop marché, du froid, du vent et de la neige, du plaisir de faire et plus simplement de circuler."
Pierre Baumann
Cairn Experience sur le travail du regard, 2021.

Partir à la recherche des pierres (naturelles ou sous forme de ruines) c’est tenter de révéler des présences cachées, témoins de l’histoire, de l’évolution du paysage, elles vivent déjà d’elles-même, cachées dans des sous-bois discrets près du lac du Maclu, sous les sentiers enneigés comme la grotte de la Cave à la Vieille, ou même bâchées, révélées par des procédés de recherche archéologique puis de nouveau abandonnées à l’image des ruines du château.

Certains de ces sites sont peu ou pas répertoriés car non entretenues par la région. La quête est donc largement basée sur le témoignage et le travail d’enquête, de ce fait la transmission orale des habitants du Frasnois et de ses alentours se révèle majeure. 

Pourquoi donc vouloir réactiver ces espaces ? Il est certes question de révéler ces espaces endormis, censés se réveiller et se révéler par la présence humaine, mais le fait est que les pierres n’ont besoin de personne pour s’exprimer ou se mouvoir par elles-même2C’est par exemple le cas de l’éboulement près du lac du Maclu: le déplacement naturel provoque des effets d’accumulation, des jeux de contre-poids et d’équilibre entre terre et eau. La semaine de recherche enneigée autour du Frasnois et l’arpentage de ce territoire offre à voir ces formes déconstruites, vestiges de l’habitat parmi lesquelles la vidéo tente dans un sens de reconstruire les formes longtemps déconstruites. Elle pose un regard qui n’est pas celui d’un archéologue en quête d’histoire mais d’un plasticien qui tente de retranscrire des formes, tout comme les pierres qui non seulement donnent « à penser la forme, comme toute forme de la nature et la structure en relation à la matière3.». Dans le cas des ruines comme des rochers présents dans la nature, ces objets se retrouvent soumis à l’investigation de qui voudra bien s’y arrêter, leur conférant une individualité propre.

2 PRÉVOST Bertrand, SALZEDO Raphaël, Au cœur des pierres, Paris, Fage, 2020, p. 233. 

3 BAUMANN Pierre, op. cit., p. 315

Notre livre est bientôt accessible à la vente !

Anna Consonni, Johanna De azevedo, Manon Guenard, Jaulène Lachaud, Sarah Marin, Élina Moreno, Nativa Pasquali, Laura Saincrit, Albane Simon, Marie Som, Pierre Baumann.

CAIRN : Expérience sur le travail du regard, (dir.) Pierre Baumann, Bordeaux, auto-édité par Le Laboratoire des objets libres, 2021.